1 décembre

De SYLMpedia
Aller à la navigationAller à la recherche

Fiançailles de Farah Diba et de Mohammed Réza d’Iran La dernière chahbanou

1959. Depuis la chute du chah, en 1979, les feux de l’actualité ont presque cessé de se braquer sur celle que les journalistes s’obstinaient à appeler « Farah Diba » – son nom de jeune fille – et qui a été la dernière impératrice d’Iran. Son règne avait duré vingt années, depuis son mariage avec Mohammed Réza Pahlavi. La vie de Farah commence à la manière d’un conte des Mille et une nuits. Son prénom ne signifie-til pas « Joie » ? La petite fille naît le 14 octobre 1938 – 22 mehr de l’an 1317 de l’Hégire – au sein d’une famille de la bonne bourgeoisie de Téhéran. à la veille de la Seconde guerre mondiale, la capitale iranienne reste encore empreinte des bruits et des parfums de l’Orient mythique. Néanmoins, deux ans auparavant, Réza Chah le Grand, premier souverain de la dynastie Pahlavi, a aboli officiellement le port du tchador, le sinistre voile noir qui enveloppe les femmes de la tête aux pieds, et qui sera de nouveau imposé par la Révolution islamique...

Le père de Farah, officier au service juridique de l’armée, participe de ce grand mouvement progressiste qui tente de faire pénétrer l’Iran dans le XXe siècle. Originaires de la province d’Azerbaïdjan, les Diba font partie de cette classe de propriétaires terriens qui a accompagné la modernisation du pays depuis une cinquantaine d’années. Leur nom vient d’un lointain ancêtre qui, semble-t-il, appréciait les tuniques de soie, « dibaji » en persan. Selon la tradition, les Diba appartiennent aussi à la caste la plus prestigieuse de l’Islam, celle des Seyyed, les descendants du prophète Mahomet. Le grand-père de la future impératrice a poursuivi une carrière diplomatique aux Pays-Bas, puis en Russie. Sohrab Diba, son fils, a été élève à l’école des Cadets de Saint-Pétersbourg, avant de passer une licence de droit à la Sorbonne et d’achever sa formation militaire à Saint-Cyr.

Quant à Farideh Ghotbi, la mère de Farah, elle a fait toutes ses études à l’école Jeanne-d’Arc, le plus ancien établissement pour filles de Téhéran. L’enseignement y est dispensé en français, par des religieuses catholiques. Malgré cette ouverture et cette tolérance, les Ghotbi ont occupé de tout temps des positions importantes dans la hiérarchie religieuse chiite. Plusieurs d’entre eux ont été des conseillers écoutés des souverains Qadjars, qui ont régné sur l’Iran jusqu’en 1925.

C’est donc entourée de parents respectueux du passé de la Perse, mais pétris de culture européenne – et singulièrement française – que Farah connaît une enfance heureuse et choyée. Du moins jusqu’à l’âge de neuf ans. Car en 1947, son père meurt brutalement, d’un cancer du pancréas. La famille se trouve alors dans une situation financière délicate. Si ce n’est pas la misère, ni même la pauvreté, il faut surveiller les dépenses. Farideh inscrit cependant sa fille à l’institution Jeanne-d’Arc, dont elle a gardé le meilleur souvenir. A la fin des années 1940, moins de cinq pour cent des femmes iraniennes sont scolarisées. Plus rares encore sont celles qui entreprennent des études secondaires.

Élève douée et consciencieuse dans les matières intellectuelles, Farah s’illustre surtout dans les disciplines sportives : basket, athlétisme, course, saut en hauteur et en longueur. En 1954, elle remporte plusieurs médailles aux premiers championnats féminins. Elle s’investit aussi dans le scoutisme et reçoit la responsabilité d’une troupe de louveteaux. En octobre 1957, quelques jours avant son dix-neuvième anniversaire, la jeune Iranienne débarque à l’aéroport d’Orly. Baccalauréat eu poche, elle est inscrite à l’École d’architecture de Paris, boulevard Raspail. Pendant deux ans, elle occupera une petite chambre du pavillon néerlandais, a la Cité universitaire, dans le XIVe arrondissement. Le 29 mai 1959, elle est conviée, avec d’autres étudiants, à une réception à l’ambassade d’Iran, à l’occasion d’une visite officielle du chah. Pour la première fois, Farah échange quelques mots avec son futur mari. D’ailleurs, la conversation, fort courte, se perd dans les banalités d’usage. Manifestement, ce n’est pas le coup de foudre, et des années plus tard, le monarque affirmera n’avoir gardé aucun souvenir de cette rencontre.

A quarante ans, Mohammed Reza Pahlavi a déjà été marié – et divorcé – à deux reprises. D’abord avec la princesse Fawzieh d’Egypte, sœur du roi Farouk, puis avec l’envoûtante Soraya Esfandiari. De ces deux unions, le chah n’a eu aucun enfant mâle, aucun héritier pour lui succéder sur un trône encore fragile. De retour à Téhéran, au cours de l’été de 1959, Farah est loin d’imaginer que son nom commence à circuler dans les milieux de la cour. Il semble que la princesse Chanaz – la fille unique du chah et de Fawzieh d’Egypte – ait joué un rôle éminent dans cette intrigue. Quelques semaines plus tard, à la suite de plusieurs rendez-vous discrets, Mohammed Reza fait sa demande officielle. La jeune étudiante entre dès lors dans la grande Histoire.

Les fiançailles sont publiées le 1er décembre 1959, et le mariage a lieu trois semaines plus tard, par une belle journée ensoleillée, la première de l’hiver. La cérémonie est digne des Mille et Une nuits. La fiancée porte une robe dessinée par Yves Saint Laurent pour Christian Dior, et un diadème de diamants pesant près de deux kilos ! Aux journalistes qui l’interroge sur sur son choix, le chah répond : « Si j’épouse Mademoiselle Diba, ce n’est pas pour des raisons politiques ou biologiques. C’est tout simplement parce que je l’aime. Je l’ai choisie parmi des dizaines de candidates parce que j’ai cru voir en elle le symbole de la jeune fille iranienne moderne, patriote, forte, capable de me donner le fils que j’attends et de tenir avec sagesse le rôle d’impératrice ».

En effet, pendant vingt ans, Farah va accomplir son rôle de « chahbanou » – d’impératrice – avec sérieux et application. Dès le 30 octobre 1960, elle donne à son époux le « fils tant attendu ». Prénommé Réza, comme son père et son grand-père, il est considéré aujourd’hui comme empereur de jure par les Iraniens monarchistes. Un autre fils – Ali Réza né en 1966 – et deux filles – Yasmine Farahnaz et Leila – viendront agrandir le cercle de famille. Mais Farah entend également favoriser et encourager la modernisation de l’Iran. En janvier 1963, le chah lance son ambitieuse « Révolution blanche », qui bouleverse les fondements économiques et sociaux d’une nation millénaire. Réforme agraire et nationalisations s’accompagnent d’une reconnaissance du droit de vote pour les femmes.

La réaction hostile du clergé chiite – conduit par l’ayatollah Ruhollah Khomeiny – ne se fait pas attendre. Dès le mois de juin 1963, des milliers de musulmans intégristes défilent dans les rues, rejoints par des militants communistes qui souhaitent la chute de la monarchie. Le chah décrira cette alliance contre nature comme « l’union non sacrée du rouge et du noir ». L’agitation est vite jugulée et l’année suivante, Khomeiny, expulsé, trouve refuge en Irak. Débarrassé de cette hypothèque, l’Iran reprend la voie du progrès, dont la très occidentale Farah figure l’emblème éclatant.

Le 26 octobre 1967, Mohammed Réza décide de procéder au couronnement de son épouse. C’est une grande première dans l’histoire de l’Empire perse, où les femmes ont toujours été reléguées dans l’ombre. Loin de se cantonner dans un rôle de figuration, Farah préside trente-six organisations caritatives, elle multiplie les actions dans les domaines de l’assistance, de la culture et de l’éducation. Chaque année, son secrétariat personnel reçoit des dizaines de milliers de lettres. Elle se déplace dans les coins les plus reculés du pays et apparaît aux démunis comme l’ultime recours. Cependant, la monarchie iranienne multiplie les maladresses. Les fêtes de Persépolis, censées célébrer le deux mille cinq centième anniversaire de l’Empire perse, choquent par leur faste grandiloquent. Plus graves, elles semblent occulter le passé islamique du pays. A partir de 1977, tandis que le chah se sait gravement malade, la situation intérieure se dégrade. Une répression brutale, conduite par la redoutable Savak, la police secrète, ne fait que radicaliser les opposants. Le 16 janvier 1979, le couple impérial et ses quatre enfants, la mort dans l’âme, doivent se résoudre à l’exil. « C’est un peu comme si on vous demandait de sortir très rapidement d’une maison en feu, témoignera Farah. Il faut choisir très vite ce que l’on emporte et ce qu’on va laisser derrière soi. [...] Quand vous quittez la terre qui vous a vue naître et tous vos amis, les choses matérielles n’ont plus aucune valeur... »

Commence alors, pour le souverain détrôné et les siens, une longue errance. Khomeiny rentre triomphalement à Téhéran, avec la bénédiction de l’Occident aveugle. Le 1er avril 1979, la République islamique est proclamée. En novembre, un groupe d’étudiants prend d’assaut l’ambassade des États-Unis. Afin d’obtenir l’extradition du chah, ils vont retenir quatre-vingts Américains en otage pendant plus d’un an. Lorsque ceux-ci sont enfin libérés, Mohammed Réza n’est plus de ce monde. Chassé des États-Unis, puis du Panama, il a trouvé refuge au Caire, grâce à l’amitié courageuse du président Sadate. Il s’y est éteint, le 27 juillet 1980.

Plus de trente ans ont passé. Farah, qui vit entre les États-Unis et la France, n’a pas perdu espoir de retrouver un jour l’Iran. Si elle rentrait à Téhéran, son premier geste serait d’embrasser le sol de sa patrie. Le mouvement de contestation qui ébranle actuellement la dictature islamique lui permettra peut-être bientôt de réaliser ce rêve. Quant à savoir si son fils coiffera la couronne des Pahlavi, Farah laisse la question en suspens : « Ce sera aux Iraniens de décider ? La chose la plus importante, c’est la démocratie et un régime laïc. S’il y a une monarchie, par le voeu du peuple, elle sera constitutionnelle. Le gouvernement aura tous les pouvoirs, et le roi sera un symbole, à l’exemple de l’Espagne. ».


[[1]] La notice ci-dessus est extraite du livre de Philippe Delorme Petites histoires du quotidien des rois, automne éditions VA Press à Versailles. 132 pages N&B, illustrations Format 17 x 24, édition juin 2017, 14,90 euros.