Les Chevaliers du bon Ordre

De SYLMpedia
Aller à la navigationAller à la recherche

Les Chevaliers du Bon Ordre

Blason de l'île de la Réunion

Mouvement royaliste légitimiste de l’île de la Réunion (anciennement île Bourbon de 1810 -1848) qui tenta de sauvegarder les institutions monarchiques et les privilèges de l’aristocratie réunionnaise acquis depuis la restauration des Bourbons (1815-1830).

Il fut aussi qualifié de mouvement carliste du nom du Roi Charles X de Bourbon.

État politique de l’île Bourbon entre 1815 et 1830

Lorsque les Bourbons sont restaurés à la chute du Premier Empire, un nouveau gouverneur est nommé à partir de 1818 avec plein pouvoirs (il cumule les pouvoirs de gouverneur et d’intendants) et dont les institutions seront fixées par l’ordonnance royale du 21 août 1825, sur rédaction de Philippe Panon Desbassayns allié au Président du Conseil, de Villèle.

Malgré le fait qu’il appartient principalement aux planteurs issus de l’aristocratie sucrière, indéfectible soutien à la monarchie des Bourbons, les pouvoirs du gouverneur sont à peine diminués par un Conseil privé, formé du gouverneur (président), des trois chefs d’administration, et de deux colons nommés par le roi. Un conseil général est également créé, mais ses membres sont nommés, ce qui n’en fait qu’un comité consultatif. La liberté politique est quasiment inexistante, jugulée par ailleurs par la censure de la presse, le refus du droit de libre réunion, l’interdiction faite au conseil général de publier ses travaux, la négation de l’adresse des habitants de Bourbon.

On comptait à l’île Bourbon en 1818 une population de : 16 400 Blancs , 3496 Affranchis et 70 000 Esclaves .

La chute de la monarchie

C’est le 20 octobre 1830 que l’île Bourbon est informée de la chute de la monarchie de Charles X. Le navire (La Jeune Mathilde) qui vient apporter la nouvelle du changement de régime arbore le drapeau tricolore du Roi Louis-Philippe 1er d’Orléans. Le Gouverneur Étienne Henry Duval d’Ailly est tellement surpris qu’il hésite à descendre le drapeau blanc frappé des lys d’or des bâtiments officiels de la colonie. Certains se méprennent et n’hésitent pas à crier «vive la république».

Arrivé un mois auparavant dans la colonie, Étienne Henry Duval d’Ailly tenait à poursuivre la politique mise en place depuis 1815 et favorise la classe aristocratique conservatrice et « possédante ». La ville de Saint Denis est en ébullition et les partisans et adversaires de la monarchie vont bientôt s’affronter.

Pièce de monnaie utilisée à Bourbon sous Charles X

Durant dix jours qui suivent, les partisans de Charles X qui contrôlent la colonie, refusent de reconnaître le changement de régime. A leur tête de ces « Gros blancs », les familles Desbassayns et de Villèle qui craignent un soulèvement de la population esclave noire (appelée cafre).

Devant l’impatience de la population et les menaces d’émeutes, le Gouverneur Étienne Henry Duval d’Ailly décide finalement de faire hisser le drapeau tricolore et en informe la population de Bourbon. Les légitimistes tenteront un baroud d’honneur le 25 novembre 1830, obligeant le Baron Tupinier, Directeur des Ports (et orléaniste) a dissoudre la milice de Saint Denis et la remplacer par une compagnie armée plus favorable au nouveau régime.

Face aux récents événements, les carlistes ne peuvent demeurer indifférents. quatre jours seulement après cette cérémonie, ils contre-attaquent. Lors d’une soirée organisée chez M. de Lancastel, directeur-général de l’Intérieur où sont réunis les familles Desbassayns et de Villèle ainsi que les membres du conseil privé et les autorités, ils décident d’organiser un complot afin de restaurer le gouvernement légitime. A 4 heures du matin, le Gouverneur Duval d’Ailly fait embastiller une douzaine de dionysiens qui avaient arborés le drapeau tricolore coupable « d’avoir troublé l’ordre public et compromis la sureté de la colonie ». Par cette action, le Gouverneur annonce qu’il n’entend pas céder aux exigences des libéraux.

Car au-delà du conflit politique se trouve également un conflit social. L’aristocratie ou « Grande société » va tout mettre en œuvre afin de préserver ses avantages économiques et politiques

Les Chevaliers du Bon Ordre

Le régime de Louis Philippe Ier est favorable à l’abolition de l’esclavage et sa politique libérale est appréciée de la moyenne bourgeoisie créole dont certains se sont réunis au sein de l’association des Francs-Créoles (fondée par le bonapartiste et journaliste Jean-Pierre-François-Nicole Robinet de La Serve, les Francs-Créoles réclament une presse libre et un conseil général élu issu de la Charte Constitutionnelle). En réaction, l’aristocratie sucrière (blanche) de l’île se rassemble et déclarant sa fidélité à Charles X, fonde la Société des Chevaliers du Bon Ordre que vont diriger les familles Desbassayns et de Villèle.

Les carlistes refusent toute idée d’abolition de l’esclavage qui selon eux plongerait l’île dans un désastre économique. A travers leurs journaux qu’ils financent, les carlistes accusent les créoles d’être des « européens » et des « révolutionnaires » réclamant l'abolition de l’esclavage et de troubler l'ordre social derrière un attachement de façade au système esclavagiste. L'association reconnaît l'égalité de tous les hommes nés libres sur le sol de Bourbon, s'ouvre aux "libres de couleur" et se montre disposée à intégrer les affranchis reconnus "dignes". En effet, comme dans les Antilles, les créoles préservent certains privilèges qui les placent au- dessus des cafres.

Maison de Villèle à la Réunion

Le 25 avril 1831, Joseph Desbassayns marie sa famille. Traversant la ville de Saint Denis à chaise à porteur avec le drapeau de l’ancien régime, Joseph Desbassayns provoque une manifestation anti-carliste. A la sortie de l’église, les manifestants obligent Joseph Desbassayns à mettre le drapeau tricolore sur sa chaise.

Le 1er mai 1831, jour de la fête de Louis-Philippe, les partisans de Charles X manifestent leur désaccord au nouveau régime. Le 17 mai suivant, les deux groupes s’affrontent à la fin d’un spectacle quand un groupe entame un chant patriotique. Le Gouverneur Étienne Henry Duval d’Ailly tente de jouer les médiateurs et temporise puis réclame le départ du maire de Saint Denis. Pour les Libéraux, le gouverneur affiche clairement son adhésion à l’aristocratie sucrière légitimiste.

Devant la situation qui menace d’éclater en insurrection armée et devant le peu d’empressement du Gouverneur à rétablir l’ordre, le gouvernement de Louis-Philippe Ier limogera Étienne Henry Duval d’Ailly en avril 1832. La colonie sera enfin dotée d’un « conseil général » élu. Nous sommes le 14 avril 1832, les Francs-créoles ont imposé un nouveau mode de gouvernement mais à quel prix. Les Carlistes ont réussi à maintenir l’esclavage comme élément déterminant de l’arrêt des hostilités.

Créoles et Aristocrates carlistes siégeront ensemble dans la nouvelle assemblée (Conseil colonial de Bourbon) sans pour autant reconnaître Louis-Philippe d’Orléans. D’ailleurs, autant les « Gros blancs » que les Francs-Créoles résumaient la situation politique de l’île ainsi : « la métropole était un mauvais juge des intérêts coloniaux ». Se regroupant autour du procureur général Charles Ogé Barbaroux (1792-1867), monarchiste et fils d’un conventionnel, les rapports entre le Conseil colonial et le procureur sera néanmoins conflictuel d’autant que celui-ci, bien qu’il soit marié à l’une des plus célèbre famille d’aristocrates sucrière de Sainte Marie, est un orléaniste convaincu et dissoudra le Conseil colonial cinq fois de suite (entre 1831 et 1848) réduisant ses pouvoirs.

Il n’aura fallu que trois jours à Paris pour renverser le régime de la Restauration, l’île Bourbon mettra deux ans à compléter cette révolution.

Les aristocrates sucriers (comme le Comte Gabriel Le Coat de Kerveguen (1800-1860), propriétaire de plusieurs hectares de plantations et qui va fortement influencer l’économie de la Réunion entre 1837 et 1879) vont se perdre dans la lutte politique afin de maintenir leur pouvoir sur la société créole et affranchie au-delà de tout combat monarchiste. Les Chevaliers du Bon Ordre vont continuer à exister pour devenir un club privé pour aristocrates sucriers. La République proclamée en février 1848 ne leur fait pas perdre leur pouvoir pour autant au sein du système colonial. Mais le drapeau blanc et la restauration légitime ne sont plus leurs priorités.

Position des monarchistes français sur la question de l’esclavage au XIXième siècle

L’esclavage est un sujet qui a beaucoup divisé les royalistes français et que l’on soit résident en France métropolitaine, dans les Antilles ou les Mascareignes, la vision de l’esclavage n’était pas la même. Traditionnellement, les légitimistes sont considérés comme proches des esclavagistes face aux orléanistes plus libéraux et partisans de l’abolition de la traite négrière.

Mais la situation est néanmoins plus complexe que cela.

Durant la Restauration (1815-1830), exception faîte de certains monarchistes comme le général de La Fayette ou le Duc de Broglie, les abolitionnistes sont considérés comme un prolongement de l’idéologie républicaine et Louis XVIII restauré n’entend pas changer le système esclavagiste en vigueur dans les Antilles et les Mascareignes. A la chute de Charles X, certains légitimistes s’engagent pour l’abolition de l’esclavage tandis que d’autres souscrivent à l’esclavage comme le journal La Guienne qui parait à Bordeaux et qui est lu quotidiennement par 1800 abonnés. Le Président du Conseil Joseph de Villèle (1773- 1854) est notamment à la tête du mouvement anti-abolitionniste à l’île Bourbon où l’aristocratie se partage 62 000 esclaves.

Joseph de Villèle

Officier de marine, Joseph de Villèle est absent de France lorsque la révolution française éclate. Il se réfugie sur l’île Bourbon et se voit même emprisonné en 1794 pour activités royalistes. Libéré, il achète un domaine et épouse Mélanie Desbassayns (1781-1855). En intégrant cette riche famille de l’aristocratie sucrière, Joseph de Villèle se lance dans la politique locale et est élu Député de l’Assemblée coloniale. Il fera d’ailleurs échouer les projets d’indépendance de l’île Bourbon. Il ne regagne la France qu’en 1807 et devient le chef du mouvement royaliste dans la région toulousaine. Son frère également présent dans l’île épousera également une Desbassayns et fera souche dans l’île. On connaît son destin fulgurant et à devenir le Président du Conseil ultra royaliste sous Charles X. D’ailleurs, c’est sous son ministère que seront éditées les ordonnances qui fixeront les institutions coloniales sur l’île Bourbon. Dès lors, l’île est sous la coupe de la famille Desbassayns (qui possède à elle seule 400 esclaves) et les carlistes.

Avec l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe Ier d’Orléans, les idées abolitionnistes sont présentes dans le gouvernement du Roi des Français composé en grande majorité de libéraux notamment au ministère de la Marine et des Colonies. Pourtant, l’opposition royaliste à l’abolition de l’esclavage est assez forte dans les Antilles et notamment dans l’île Bourbon. Avec la révolution de juillet, plus d’un tiers des aristocrates des îles étaient de nouveau solvables après les pertes subies sous la révolution française et la perte de Saint-Domingue. Le Conseil colonial était dirigé par les grands propriétaires blancs (Békés aux Antilles, Gros Blancs à Bourbon), la plupart attaché à la monarchie mais n’hésitant à brandir la menace de sécession pour protéger leurs intérêts tout en agitant le drapeau fleurdelysé. Les affrontements entre pro et anti abolitionnistes dégénéreront souvent en guerre de rue entre les deux camps.

C’est finalement la Seconde république (1848-1851) qui aboli l’esclavage le 27 avril 1848. Pour autant la question ne sera pas réglée entièrement. Si elle libère des centaines de milliers d’esclaves, elle jette ceux-ci dans la dépendance économique de leurs anciens maîtres.

Philippe VII durant la guerre de sécession

Lorsque la guerre de sécession éclate aux États-Unis en 1862, le Second Empire prend fait et cause pour le sud esclavagiste. Non pas que Napoléon III soit un partisan de l’esclavagisme (son oncle Napoléon Ier avait autant rétabli l’esclavage en 1804 qu’il avait interdit la traite négrière à son retour au pouvoir en 1815) mais en soutenant le Sud, il peut se consacrer à son projet d’expédition et son rêve d’Empire mexicain. La Revue des Deux Mondes, journal légitimiste semble accepter la division des Etats-Unis comme inéluctable. Dans ses articles, la « Revue des Deux-Mondes » va jusqu’à conjurer la République américaine d’accepter la sécession afin d’éviter la perte de vies humaines lors d’une guerre civile. Mais si le journal royaliste soutient la sécession, elle refuse à ce que le Second Empire intervienne au côté du Sud. Du côté des orléanistes, on prend cause pour le Nord.

Camille, Prince de Polignac

Les Princes d’Orléans suivent ici une logique familiale. En juillet 1846, Louis-Philippe Ier abolit l’esclavage dans les domaines royaux de la Martinique et la Guadeloupe y compris dans l’île Mayotte récemment acquise (9 décembre) mais échoue à l’île Bourbon. Le Prince de Joinville, François d’Orléans (1818-1900) voit dans le Nord abolitionniste des idées humanistes (il a accueilli favorablement l’abolition de l’esclavage) et incite ses neveux le Comte de Paris et prétendant à la couronne de France, Philippe VII d’Orléans et le Duc de Chartres de s’engager dans l’armée nordiste. Reçus par le Président Lincoln à leur arrivée sur le sol américain, le Comte de Paris est affecté «aux renseignements » et son frère sur le front. L’affaire mexicaine qui génèrera une grande hostilité entre les États-Unis et la France obligeront les deux Princes d’Orléans à revenir en France.

Côté légitimiste, on n’hésite pas à s’engager au côté du Sud confédéré comme le Prince Camille Armand de Polignac, (1832-1913) qui y gagnera le surnom de « Lafayette du Sud ». Il plaidera la cause de la Confédération en tant que leur représentant auprès de Napoléon III en 1865. Mais il était trop tard pour l’Empire de s’engager dans cette guerre alors qu’il avait dû se retirer de manière désastreuse du Mexique. Cet Empire catholique voulu par Napoléon III et sous l’influence de son épouse Eugénie de Montijo, dont la famille était connue pour ses positions carlistes. Les États-Unis inquiets de cette nouvelle hégémonie française avaient décidé d’aider le Président Bénito Juarez contre Maximilien Ier de Habsbourg-Lorraine.

Le Marquis de Chanaleilles justifiera le soutien des monarchistes français à l'esclavage au XIXième siècle dans un recueil où il écrit entre autre : “l’esclavage des nègres de l’Afrique qui ne sont pas chrétiens n’a jamais été proscrit par la religion catholique parce qu’il résulte de circonstances exceptionnelles qui ne détruisent point les dogmes fondamentaux de l’Église”.

La chute du Second Empire envoie définitivement la question de l'esclavage aux pages de l'histoire de France. La République installée, personne dans les îles ne remettra en cause la fin de l'esclavage.


Liens externes

  • [1] : Le Comte de Kerveguen
  • [2]: Les Franc-créoles
  • [3]: De la Serve Nicole. (lien brisé)
  • [4]:Le Marquis de Chanaleilles.
  • [5]: L’intervention au Mexique.
  • [6]: Les Princes d’Orléans dans la guerre de sécession.